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La Fille
14 avril 2004
par Jean de la Fontaine
Certaine fille, un peu trop fière,Prétendait trouver un mariJeune, bien fait et beau, d’agréable manière,Point froid et point jaloux : notez ces deux points-ci.Cette fille voulait aussiQu’il eût du bien, de la naissance,De l’esprit, enfin tout. Mais qui peut tout avoir ?Le destin se montra soigneux de la pourvoir :Il vint des partis d’importance.La belle les trouva trop chétifs de moitié :« Quoi ? moi ! quoi ? ces gens-là ! l’on radote, je pense.A moi les proposer ! hélas ! ils font pitié :Voyez un peu la belle espèce ! »L’un n’avait en l’esprit nulle délicatesse ;L’autre avait le nez fait de cette façon-là ;C’était ceci, c’était cela ;C’était tout, car les précieusesFont dessus tout les dédaigneuses.Après les bons partis, les médiocres (1) gensVinrent se mettre sur les rangs.Elle de se moquer. « Ah ! vraiment je suis bonneDe leur ouvrir la porte ! Ils pensent que je suisFort en peine de ma personne :Grâce à Dieu, je passe les nuitsSans chagrin, quoique en solitude. »La belle se sut gré de tous ces sentiments ;L’âge la fit déchoir : adieu tous les amants.Un an se passe, et deux avec inquiétude ;Le chagrin vient ensuite ; elle sent chaque jourDéloger quelques Ris, quelques Jeux, puis l’Amour ;Puis ses traits choquer et déplaire ;Puis cent sortes de fards. Ses soins ne purent faireQu’elle échappât au Temps, cet insigne larron.Les ruines d’une maisonSe peuvent réparer : que n’est cet avantagePour les ruines du visage ?Sa préciosité changea lors de langage.Son miroir lui disait : « Prenez vite un mari »Je ne sais quel désir le lui disait aussi :Le désir peut loger chez une précieuse.Celle-ci fit un choix qu’on n’aurait jamais cru,Se trouvant à la fin tout aise et tout heureuseDe rencontrer un malotru.
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