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Les Femmes et le secret
14 mars 2004
par Jean de la Fontaine
Rien ne pèse tant qu’un secret :Le porter loin est difficile aux dames ;Et je sais même sur ce faitBon nombre d’hommes qui sont femmes.Pour éprouver la sienne un mari s’écriaLa nuit étant près d’elle : « Ô Dieux, qu’est-ce-cela ?Je n’en puis plus, on me déchire !Quoi ? j’accouche d’un oeuf ! - D’un oeuf ? - Oui, le voilà,Frais et nouveau pondu. Gardez bien de le dire :On m’appellerait poule ; enfin n’en parlez pas."La femme, neuve sur ce cas,Ainsi que sur mainte autre affaire,Crut la chose, et promit ses grands dieux de se taire.Mais ce serment s’évanouitAvec les ombres de la nuit.L’épouse, indiscrète et peu fine,Sort du lit quand le jour fut à peine levé ;Et de courir chez sa voisine.« Ma commère, dit-elle, un cas est arrivé ;N’en dites rien surtout, car vous me feriez battre :Mon mari vient de pondre un oeuf comme quatre.Au nom de Dieu, gardez-vous bienD’aller publier ce mystère.- Vous moquez-vous ? dit l’autre. Ah ! vous ne savez guèreQuelle je suis. Allez, ne craignez rien. »La femme du pondeur s’en retourne chez elle.L’autre grille déjà de conter la nouvelle ;Elle va la répandre en plus de dix endroits ;Au lieu d’un oeuf, elle en dit trois.Ce n’est pas encor tout, car une autre commèreEn dit quatre et raconte à l’oreille le fait,Précaution peu nécessaire,Car ce n’était plus un secret.Comme le nombre d’oeufs, grâce à la renommée,De bouche en bouche allait croissant,Avant la fin de la journéeIls se montaient à plus d’un cent.
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