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Le Faucon et le Chapon
14 janvier 2004
par Jean de la Fontaine
Une traîtresse voix bien souvent vous appelle ;Ne vous pressez donc nullement :Ce n’était pas un sot, non, non, et croyez-m’en,Que le chien de Jean de Nivelle.Un citoyen du Mans, chapon de son métier,Etait sommé de comparaîtrePar devant les lares du maîtreAu pied d’un tribunal que nous nommons foyer.Tous les gens lui criaient, pour déguiser la chose,« Petit, petit, petit ! » mais, loin de s’y fier,Le Normand et demi laissait les gens crier.« Serviteur, disait-il ; votre appât est grossier :On ne m’y tient pas, et pour cause. »Cependant un faucon sur sa perche voyaitNotre Manceau qui s’enfuyait :Les chapons ont en nous fort peu de confiance,Soit instinct, soit expérience.Celui-ci, qui ne fut qu’avec peine attrapé,Devait, le lendemain, être d’un grand soupé,Fort à l’aise en un plat, honneur dont la volailleSe serait passée aisément.L’oiseau chasseur lui dit : « Ton peu d’entendementMe rend tout étonné. Vous n’êtes que racaille,Gens grossiers, sans esprit, à qui l’on n’apprend rien.Pour moi, je sais chasser, et revenir au maître.Le vois-tu pas à la fenêtre ?Il t’attend : es-tu sourd ? Je n’entends que trop bien,Repartit le chapon ; mais que me veut-il dire ?Et ce beau cuisinier armé d’un grand couteau ?Reviendrais-tu pour cet appeau ?Laisse-moi fuir, cesse de rireDe l’indocilité qui me fait envolerLorsque d’un ton si doux on s’en vient m’appeler.Si tu voyais mettre à la brocheTous les jours autant de fauconsQue j’y vois mettre de chapons,Tu ne me ferais pas un semblable reproche. »
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