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L’ Ecolier le Pédant et le Maître d’un jardin
12 mai 2004
par Jean de la Fontaine
Certain enfant qui sentait son collège,Doublement sot et doublement friponPar le jeune âge et par le privilègeQu’ont les pédants de gâter la raison,Chez un voisin dérobait, ce dit-on,Et fleurs et fruits. Ce voisin, en automne,De plus beaux dons que nous offre PomoneAvait la fleur , les autres le rebut.Chaque saison apportait son tribut ;Car au printemps, il jouissait encoreDes plus beaux dons que nous présente Flore.Un jour, dans son jardin il vit notre écolierQui, grimpant, sans égard, sur un arbre fruitier,Gâtait jusqu’aux boutons, douce et frêle espérance,Avant-coureurs des biens que promet l’abondance :Même il ébrancherait l’arbre ; et fit tant, à la fin,Que le possesseur du jardinEnvoya faire plainte au maître de la classe.Celui-ci vint, suivi d’un cortège d’enfants :Voilà le verger plein de gensPires que le premier. Le pédant, de sa grâce,Accrut le mal en amenantCette jeunesse mal instruite :Le tout, à ce qu’il dit, pour faire un châtimentQui pût servir d’exemple, et dont toute sa suiteSe souvînt à jamais comme d’une leçon.Là-dessus il cita Virgile et Cicéron,Avec force traits de science.Son discours dura tant que la maudite engeanceEut le temps de gâter en cent lieux le jardin.Je hais les pièces d’éloquenceHors de leur place, et qui n’ont point de fin,Et ne sais bête au monde pireQue l’écolier, si ce n’est le pédant.Le meilleur de ces deux pour voisin, à vrai dire,Ne me plairait aucunement.
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