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Le Trésor et les deux Hommes
14 octobre 2004
par Jean de la Fontaine
Un homme n’ayant plus ni crédit ni ressource,Et logeant le diable en sa bourse,C’est à dire n’y logeant rien,S’imagina qu’il ferait bienDe se pendre et finir lui-même sa misère,Puisque aussi bien sans lui la faim le viendrait faire :Genre de mort qui ne duit pasA gens peu curieux de goûter le trépas.Dans cette intention, une vieille masureFut la scène où devait se passer l’aventure.Il y porte une corde, et veut avec un clouAu haut d’un certain mur attacher le licou.La muraille, vieille et peu forte,S’ébranle au premier coup, tombe avec un trésor.Notre désespéré le ramasse, et l’emporte,Laisse là le licou, s’en retourne avec l’or.Sans compter : ronde ou non, la somme plut au sire.Tandis que le galant à grands pas se retire,L’homme au trésor arrive, et trouve son argentAbsent.« Quoi, dit-il, sans mourir je perdrai cette somme ?Je ne me pendrai pas ! Et vraiment si ferai,Ou de corde je manquerai. »Le lacs était tout prêt ; il n’y manquait qu’un homme :Celui-ci se l’attache, et se pend bien et beau.Ce qui le consola peut-êtreFut qu’un autre eût, pour lui, fait les frais du cordeau.Aussi bien que l’argent, le licou trouva maître.L’avare rarement finit ses jours sans pleurs,Il a le moins de part au trésor qu’il enserre,Thésaurisant pour les voleurs,Pour ses parents ou pour la terre.Mais que dire du troc que la Fortune fit ?Ce sont là de ses traits, elle s’en divertit :Plus le tour est bizarre, et plus elle est contente.Cette déesse inconstanteSe mit alors en l’espritDe voir un homme se pendre ;Et celui qui se penditS’y devait le moins attendre.
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