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La Tortue et les deux Canards
10 décembre 2004
par Jean de la Fontaine
Une Tortue était, à la tête légère,Qui, lasse de son trou, voulut voir le pays,Volontiers on fait cas d’une terre étrangère :Volontiers gens boiteux haïssent le logis.Deux Canards à qui la commèreCommuniqua ce beau dessein,Lui dirent qu’ils avaient de quoi la satisfaire :Voyez-vous ce large chemin ?Nous vous voiturerons, par l’air, en Amérique,Vous verrez mainte République,Maint Royaume, maint peuple, et vous profiterezDes différentes moeurs que vous remarquerez.Ulysse en fit autant. On ne s’attendait guèreDe voir Ulysse en cette affaire.La Tortue écouta la proposition.Marché fait, les oiseaux forgent une machinePour transporter la pèlerine.Dans la gueule en travers on lui passe un bâton.Serrez bien, dirent-ils ; gardez de lâcher prise.Puis chaque Canard prend ce bâton par un bout.La Tortue enlevée on s’étonne partoutDe voir aller en cette guiseL’animal lent et sa maison,Justement au milieu de l’un et l’autre Oison.Miracle, criait-on. Venez voir dans les nuesPasser la Reine des Tortues.- La Reine. Vraiment oui. Je la suis en effet ;Ne vous en moquez point. Elle eût beaucoup mieux faitDe passer son chemin sans dire aucune chose ;Car lâchant le bâton en desserrant les dents,Elle tombe, elle crève aux pieds des regardants.Son indiscrétion de sa perte fut cause.Imprudence, babil, et sotte vanité,Et vaine curiosité,Ont ensemble étroit parentage.Ce sont enfants tous d’un lignage.
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