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Le Pouvoir des Fables
16 avril 2004
par Jean de la Fontaine
La qualité d’ambassadeurPeut-elle s’abaisser à des contes vulgaires ?Vous puis-je offrir mes vers et leurs grâces légères ?S’ils osent quelquefois prendre un air de grandeur,Seront-ils point traités par vous de téméraires ?Vous avez bien d’autres affairesA démêler que les débatsDu lapin et de la belette.Lisez-les, ne les lisez pas ;Mais empêchez qu’on ne nous metteToute l’Europe sur les bras.Que de mille endroits de le terreIl nous vienne des ennemis,J’y consens ; mais que l’AngleterreVeuille que nos deux rois se lassent d’être amis,J’ai peine à digérer la chose.N’est-il point encor temps que Louis se repose ?Quel autre Hercule enfin ne trouvait lasDe combattre cette hydre ? Et faut-il qu’elle opposeUne nouvelle tête aux efforts de son bras ?Si votre esprit plein de souplesse,Par éloquence et par adresse,Peut adoucir les coeurs et détourner ce coup,Je vous sacrifierai cent moutons : c’est beaucoupPour un habitant du Parnasse.Cependant faites moi la grâceDe prendre en don ce peu d’encens ;Prenez en gré mes voeux ardents,Et le récit en vers qu’ici je vous dédie.Son sujet vous convient, je n’en dirai pas plus :Sur les éloges que l’envieDoit avouer qui vous sont dus,Vous ne voulez pas qu’on appuie.Dans Athèneautrefois, peuple vain et léger,Un orateur , voyant sa patrie en danger,Courut à la tribune ; et d’un art tyrannique,Voulant forcer les coeurs dans une république,Il parla fortement sur le commun salut.On ne l’écoutait pas. L’orateur recourutA ces figures violentesQui savent exciter les âmes les plus lentes :Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu’il put.Le vent emporta tout, personne ne s’émut ;L’animal aux têtes frivoles,Etant fait à ces traits, ne daignait l’écouter ;Tous regardaient ailleurs ; il en vit s’arrêterA des combats d’enfants et point à ses paroles.Que fit le harangueur ? Il prit un autre tour.« Céres , commença-t-il, faisait voyage un jourAvec l’anguille et l’hirondelle ;Un fleuve les arrête, et l’anguille en nageant,Comme l’hirondelle en volant,Le traversa bientôt. » L’assemblée à l’instantCria tout d’une voix : « Et Céres, que fit-elle ?- Ce qu’elle fit ? Un prompt courrouxL’anima d’abord contre vous.Quoi ? de contes d’enfants son peuple s’embarrasse !Et du péril qui la menaceLui seul entre les Grecs il néglige l’effet !Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ? »A ce reproche l’assemblée,Par l’apologue réveillée,Se donne entière à l’orateur :Un trait de fable en eut l’honneur.Nous sommes tous d’Athènes en ce point, et moi-même,Au moment que je fais cette moralité,Si Peau d’Ane m’était conté,J’y prendrais un plaisir extrême.Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependantIl le faut amuser encor comme un enfant
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